De la DOUCEUR

« De l’animalité elle garde le goût et le toucher, la présence et la grâce. Et de l’Enfance, l’essentielle présence dans ce qu’elle irradie. » L’essai intitulé « Puissance de la douceur » (2013) d’Anne Dufourmantelle*, nous baigne dans une recherche complexe et de qualité et nous imprègne de la notion de douceur en en dessinant tous les contours.

On sait déjà et on le comprend en profondeur, la douceur est liée à notre vie intra-utérine et de tout petit bébé. « Le monde de l’enfance la prolonge, c’est pourquoi l’image d’un petit enfant qui dort est l’une des images universelles de la douceur, comme si (…) la confiance et l’abandon total dont fait preuve ce corps nous renvoyaient à cet abandon premier dont nous venons. »

La douceur n’est pas mièvre, bien au contraire

Attention, l’auteure pointe aussi -et c’est tant mieux car on n’y prend pas garde- qu’à l’opposé de ce que les publicités voudraient nous faire croire en vantant des produits qui rendraient par exemple notre peau plus douce, la douceur est une qualité qui n’est pas mièvre mais élévée et noble. Les héros guerriers de l’Illiade, incarnations du courage et de la droiture, en font preuve eux aussi. « Elle ne verse dans aucune mièvrerie et s’accorde au courage ».

La philosophie de la non-violence qui inspire Ghandi puis Nelson Mandela s’oppose également par la douceur à la brutalité des régimes ségrégationnistes de leurs nations.

Nous pouvons donc faire preuve de douceur avec nos proches ou dans nos relations sans devenir mous, inspirés par la force de ces héros.

Techniques douces

Naturellement orientée depuis toujours vers l’écoute approfondie des émotions, j’ai choisi de travailler dans la relation d’aide, une relation duelle d’écoute sans jugement, et d’y ajouter des « techniques douces » corporelles et énergétiques : Touchers, tapotements ou massages toujours légers.

Anne Dufourmantelle nous éclaire sur ce qui se passe : La relation « douce » qui s’établit entre deux êtres humains ou entre l’homme et le cheval par exemple, l’est pour chacun des 2 protagonistes : « c’est un double don qui apparait : Celui qui l’offre et celui qui le reçoit sont tous deux rassemblés. » Une manière de qualifier le lien si particulier qui s’établit dans la relation de soin ou thérapeutique.

Par ailleurs, comme on me l’a enseigné, je m’assure toujours en début de séance auprès d’une personne par un protocole simple sur le corps que nous allons travailler de « manière douce ». Puis au sein de nos techniques qui s’appuient sur la Médecine Chinoise, il arrive que le méridien Rate-Pancréas soit celui qui nécessite d’être rééquilibré prioritairement. Il est en lien avec le rapport à la mère, à la nourriture corporelle, affective et spirituelle. « Douce » est la voix associée à l’élément Terre et à ce méridien.  On retrouve là des situations émotionnelles très diverses : troubles alimentaires, besoin d’affection permanent, qui rend vulnérable dans le couple. Ce besoin mieux dosé , une forme de douceur intrinsèque trouvée, on se sent moins dépendant de l’autre.

La douceur me manquait

A la lecture de ce bel essai d’Anne Dufourmantelle, j’ai pris conscience que la douceur me manquait, qu’elle est moins présente « qu’avant » dans ma vie…Mais avant quoi ?

Je ne sais finalement pas très bien, on pense tous à « avant la crise sanitaire ». Mais me manquait-elle déjà avant cet avant ?

Les expressions guerrières telles que « je me suis battu(e) pour cela », « je suis armé(e) pour mener ce projet à bien », « je vais me défendre », courantes, supposent la lutte, la bataille, la brutalité pour être respecté. Mes client(e)s les utilisent souvent pour décrire leurs expériences dans le monde du travail ou bien dans le couple, et aujourd’hui nous entendons parler quotidiennement de la « lutte » contre le coronavirus.

Mais pourquoi a-t-on besoin de se protéger ou de se défendre avec dureté ? L’ère des egos tout-puissants

Marie-France Hirigoyen, psychiatre, dans son ouvrage « les Narcisses » nous rappelle que les interdits qui entravaient l’épanouissement des femmes et des hommes dans nos sociétés au 20ème siècle ont largement disparu. Par exemple, ne pouvoir vivre avec la personne que l’on aimait car le divorce, l’homosexualité, étaient mal vus rendait nombre de femmes et d’hommes très malheureux. Les souffrances des années cinquante étaient de cet ordre : ne pas pouvoir être avec la personne aimée, ne pas faire ce qui nous rendait heureux, faire des « sacrifices » et renoncer au bonheur afin d’être en phase avec ce que la société nous dictait comme acceptable et conforme ou non.

Le vingt-et-unième siècle a alors vu se structurer les valeurs de notre société autour de l’Individu, de sa réalisation personnelle. Nous en bénéficions tous, allant vers ce qui nous épanouit dans notre singularité…. Mais désormais les egos ne sont plus contenus et limités par les exigences sévères d’une société punissante. Certaines personnes, en fonction de ce qu’elles ont vécu à travers leur éducation, et au cours de leurs expériences, cherchent à combler leurs besoins instinctivement, comme les enfants. Centrées sur leurs besoins, elles tolèrent difficilement la frustration.

Comme la douceur, on l’a noté, fait souvent défaut dans la sphère professionnelle ou personnelle, elles peuvent alors, une fois trouvée une source de douceur rappelant la voix ou le toucher maternels, vouloir s’y abreuver sans limite, à l’excès, et sans égard pour celui ou celle qui la diffuse ; allant même parfois un cran au-dessus jusqu’à laisser reposer sur leur « fournisseur de douceur » leur sentiment de sécurité ! Certaines clientes se sont senties littéralement épuisées avant de prendre la mesure de ce déséquilibre dans leur relation.

Ainsi aujourd’hui avons-nous chacun à nous ajuster entre d’une part générosité, bonté, délicatesse, tact… qui sont des qualités attributs de la douceur, et d’autre part affirmation de nous-mêmes, protection de notre intégrité. Les comportements et attitudes n’étant plus régis par des carcans de politesse, de moralité ou des usages formels, il nous revient d’assurer ce champ-là par nous-mêmes, au bureau et parfois à la maison.

En séance, choisir une thématique autour de la douceur s’avère intéressant : chacun(e) accède à plus de créativité, ouverture, discernement, courage ! La douceur enfin tournée vers soi-même peut conduire à cet équilibre entre ouverture et discernement. Et cela fait du bien, on se sent rééquilibré, un peu plus unifié !

Le besoin de douceur est universel

Finalement, en dehors des soins qui entourent les jeunes enfants, nous avons largement oublié cette notion là. On n’utilise plus beaucoup le terme de douceur aujourd’hui, parlant néanmoins de bienveillance (sur laquelle je reviendrai dans un épisode 2). Pourtant certains événements témoignent qu’elle demeure un besoin fondamental de l’être humain.

Dans son essai intitulé « Eloge de la douceur » (2017), la journaliste Aurélie Godefroy nous présente Amma : Chaque année cette prêtresse indienne mondialement connue restait 3 jours à Toulon et l’an dernier en novembre 2019 elle a fait halte au Palais des sports de Marseille pour serrer dans ses bras (son étreinte s’appelle le « darshan ») des milliers de personnes qui avaient attendu pendant des heures. Une amie, des clients, m’ont raconté ce ressenti d’amour et de douceur infinis, une transmission de « l’essentiel » qui laisse un souvenir très fort, qui apaise pour longtemps. Surnommée « la mère de la compassion », je crois qu’elle apporte avec ce « câlin » douceur maternelle à tous ceux qu’elle étreint. Elle aurait pratiqué 39 millions de darshan à travers le monde en 3 décennies…On en a tous plus que jamais besoin.

 

J’ai cité :

*Anne Dufourmantelle : Puissance de la douceur – 2013 – Philosophe et psychanalyste décédée accidentellement en 2017

Marie-France Hirigoyen : Les Narcisse. Ils ont pris le pouvoir – 2019 – Psychiatre qui a développé le principe de « harcèlement moral » au début des années 2000 et ainsi contribué à l’établissement d’une loi contre le harcèlement au travail.

Aurélie Godefroy : Eloge de la douceur – 2017 – Journaliste